Tous les jours sont des nuits

Peter Stamm

Christian Bourgois

  • Conseillé par
    9 décembre 2014

    Portrait de femme défigurée

    On parle très souvent de la voix des auteurs, de la musicalité de leur écriture. Chez le Suisse Peter Stamm, bien sûr il y a un style, où il use des mots comme des subtiles notes d’une partition millimétrée. Mais concernant son dernier roman, on a surtout envie d’évoquer son regard. Celui qu’il porte sur son héroïne Gillian, en fait un modèle très vivant qui symbolise toutes les femmes et leur rapport intime à leur image. Cette vision aigüe et pénétrante de Peter Stamm est comme celle des artistes peintres qui parviennent, d’un simple trait à esquisser et capter l’essence même d’un sujet.

    Le sujet justement de « Tous les jours sont des nuits » est très fort. Gillian est présentatrice d’une émission culturelle à la télévision. Une femme, dont la carrière repose essentiellement sur l’image et la beauté. A la suite d'un accident de voiture, son mari Matthias qui était au volant, est tué à ses côtés. Elle se réveille à l’hôpital atrocement défigurée. Gillian avait pour amant un peintre, Hubert, pour lequel elle posait nue. Après l’accident, elle va le perdre. Et tout le reste aussi est anéanti, sa carrière, sa vie sociale. Six ans après le drame, sous le prénom de Jill, alors que loin de tout à la montagne, elle se reconstruit une vie à son image, les deux amants vont se retrouver. Et tenter de se « re-connaître ».

    La citation intégrale de Shakespeare dont est extrait le titre, résume l’enjeu de ce roman: « Tous les jours sont des nuits tant que je ne te vois pas, et les nuits sont des jours clairs quand le rêve te montre à moi ». Le rêve qui est cette part d’imaginaire qui seule peut nous sortir du réel quand tout semble en apparence mort et enterré. La situation extrême de Gillian qui se réveille défigurée et perdue au regard des autres, donne à Peter Stamm l’occasion de nous offrir des scènes bouleversantes d’introspection: « Elle ferma les yeux et perçut à nouveau le trou dans son visage, par lequel elle avait vu à l’intérieur d’elle même (…/…) Tout est encore là, dit-elle, il n’y a que moi qui suis partie ». Et puis les séances de poses réelles ou fantasmées entre Hubert, le peintre et Gillian, son amante et modèle, sont d’une sensualité subtile et néanmoins très tendue. Finalement ce roman de Peter Stamm se reçoit non pas comme un livre, mais comme un tableau dont se dégage une séduisante étrangeté .

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