Pour la peau

Emmanuelle Richard

Éditions de L'Olivier

  • Conseillé par
    10 avril 2016

    Sauver sa peau

    Le roman s’ouvre en avril, sur le premier grain d’un rosaire, une image d’Emma et de son amour perdu, un homme de douze ans son aîné qu’elle a aimé, contre toutes attentes, l’été de ses 27 ans. Quelques pages plus loin, vient le deuxième grain, une scène de fin de journée d’été. Caissière à la Grande Récré, la narratrice n’a de cesse d’égrener inlassablement ce rosaire, d’avant en arrière, comme pour tenter de ressusciter les souvenirs de cet homme qu’elle nomme par la première lettre de son prénom : E.

    La jeune femme rencontre E. devant son agence immobilière pour visiter un studio au lendemain d’une rupture amoureuse. La première fois qu’elle le voit rappelle celle de l’Aurélien et de la Bérénice d’Aragon : elle le trouve « quelconque, sinon laid ». La photographie de cet instant reste pourtant floue. Il portait « sûrement » un jean, écrit Emmanuelle Richard. Et cet adverbe résume à lui seul l’entreprise du livre, cette vaine tentative de restituer le passé.

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  • Conseillé par
    9 février 2016

    C'est la deuxième partie du roman qui m'a plu, celle dans laquelle la narratrice souffre. La voir s'engluer dans cette relation qui ne peut pas lui donner satisfaction parce qu'il existe des dépendances bien plus fortes que l'amour qui relient cet homme à une autre m'a touchée. Ne vous attendez pas à un roman qui tourne autour d'un désir purement sexuel. C'est l'envie d'être avec l'autre qui est plus forte que tout, pas forcément le désir qui n'est finalement que peu présent ici. Plus forte que la raison, plus forte que le besoin de se protéger. Et plus forte que l'estime de soi sans laquelle pourtant aucune relation n'est viable à long terme. Peut-être que finalement, c'est le besoin de vivre une expérience forte qui prime, se sentir vivante à nouveau après avoir vécu une relation un peu pantouflarde.


  • Conseillé par
    11 janvier 2016

    Après une relation de six années qui s’est soldée par une rupture d’un commun accord, la narratrice cherche un nouvel appartement en province. C’est E. qui lui le fait visiter. Dégingandé, plus âgé qu’elle, le visage marqué de ceux qui ont vécu et il lui est presque antipathique.

    En attendant de pouvoir gagner sa vie par l’écriture, elle a un travail alimentaire dans un magasin de jouets. Parce qu’elle ne veut plus d’affect, elle s’est inscrite sur un site de rencontres pour personnes mariées. Histoire de pas passer par la case des sentiments et des attaches. Des problèmes dans son nouvel appartement l'obligent à contacter E.,
    ils vont donc se revoir. De textos à des rendez-vous pour boire un verre, elle en apprend plus sur lui : sa jeunesse à Londres, la drogue et sa copine qui l'a quitté. Sans jamais que l'idée ne l'effleure auparavant, elle s’éprend de lui, de sa façon d’être et de son corps. Ils avancent à tâtons, se découvrent. S'ensuivent quatre semaines d'amour en été où elle veut croire au bonheur présent et futur. Quitte à supporter les nombreuses fois où il boit trop, quitte à cracher sur ses résolutions (jamais je ne le ferai par amour), à oublier les disputes et le risque d’avoir mal.

    " (…) comment passe-t-on de l'indifférence au mépris à la curiosité, puis au désir et enfin en sentiment amoureux ? À quel moment ai-je commencé à regarder E. ? À quel moment a-t-il commencé à me plaire ? À quel moment ai-je eu l’impression foudroyante de le voir, en entier, et d'en être bouleversée ? À quel moment a surgi le désir fou d'appartenir à cet homme à n'importe quel prix, comme jamais je n'avais désiré auparavant appartenir à quelqu'un, appartenir tout court, pour pouvoir me désintégrer et m'annuler à lui, oublier que j'existe et, simplement, essentiellement, veiller sur son corps, prendre soin de lui ? À quel moment suis-je tombée ?"

    Si j’ai indiqué cet extrait, c’est parce qu’il résume (je trouve) parfaitement la trame principale de ce roman. Tout y est décrit : le désir, l’attente, la peur, le manque de l’autre, l’incandescence, le plaisir incendiaire et charnel, le bonheur entraperçu et imaginé, les utopies, la puissance et la violence des sentiments, ce qu'on refuse d'admettre, la volonté d'y croire encore car le coeur ne veut pas, les faiblesses et la chute.

    Un roman immensément intense et sans tabou où l’écriture fait appel à tous les sens et où toutes les sensations sont décrites superbement avec réalisme et subtilité (j'ai relu des passages entiers). De longues phrases à justes quelques mots, l’écriture colle au récit comme une seconde peau. En y ajoutant également des réflexions que le recul apporte, elle nous ouvre la porte sur l'ensemble des ressentis. Car il lui fallait écrire pour mettre un point final, pour reléguer E. au passé et ce, définitivement.

    Je n’ai pas lu mais ressenti viscéralement ce deuxième roman d’Emmanuelle Richard. Un livre devenu hérisson tant j’y ai inséré de marque-pages !